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Systèmes de fichiers et couches
===============================
Les images de conteneurs sont distribuées en couches, chaque couche contenant
les différences apportée par rapport à la couche précédente : l'ajout d'un
fichier, la suppression d'un dossier, ...
L'intérêt principal est bien entendu d'optimiser l'espace de stockage, en
favorisant la réutilisation des couches d'un conteneur à l'autre. Cela permet
en outre d'accélérer le processus de création des conteneurs, puisqu'il n'y a
pas besoin de commencer par recopier les fichiers de l'image avant de pouvoir
lancer le conteneur.
Pour réaliser ces actions, Docker dispose de plusieurs techniques, implémentées
sous forme de *storage drivers*. Beaucoup de ces *drivers* s'appuient sur des
mécanismes existant dans le noyau, mais la diversité des configurations impose
d'avoir plusieurs solutions pour ce problème. D'ailleurs si aucun mécanisme
n'est disponible, Docker utilise le driver `vfs`. Ce *driver* va alors
recopier, au moment du lancement d'un conteneur, chacune des couches ; la
méthode n'est alors pas très optimale, mais a le mérite d'exister
indépendamment des implémentations.
## Union de systèmes de fichiers
Le principe général de ce système de couches repose sur l'union de système de
fichiers : il s'agit de faire une combinaison logique de deux couches (ou plus,
selon l'implémentation), afin de créer un unique système de fichiers qui est la
combinaison de chaque couche.
### Historique
Les premières implémentations de ce type de systèmes de fichiers est apparu
avec les LiveCD : on disposait d'une distribution Linux complètement
opérationnelle sur un support en lecture seule, mais on pouvait dédier un
espace de stockage sur son disque dur (ou en RAM, au travers d'un `tmpfs`) pour
modifier artificiellement le contenu du CD, notamment pour mettre à jour les
paquets, ou ajouter ses propres applications, documents, photos, ...
Historiquement, le noyau Linux devait être *patché* pour supporter ce type de
système de fichiers (que ce soit `unionfs` ou `aufs`, les deux principaux
*patch* apportant cette fonctionnalité). Les systèmes BSD disposent d'une
implémentation depuis au moins 1995 et c'est SunOS qui fût le premier OS à
développer cette technique dès 1986 (pour un système de fichier appelé
*Translucent File Service*). Pour Linux, il aura fallu attendre 2014 pour voir
l'arrivée du système de fichier OverlayFS dans un noyau sans *patch*.
### Usages
En dehors de l'exemple des LiveCD que l'on vient de décrire, les unions de
systèmes de fichiers trouvent leur intérêt également dans les systèmes
embarqués : on peut garder le système de base en lecture seule (entre deux
mises à jour du système) et rajouter une couche pour l'utilisateur en
lecture/écriture, ce qui donne la possibilité de faire facilement une
réinitialisation à la demande de l'utilisateur, ou en cas de corruption du
système de fichiers en écriture.
On trouve également usage de cette fonctionnalité pour réaliser des sauvegardes
en place des données.
### Généralités
Les unions de systèmes de fichiers partagent un certain nombre de concepts que
nous allons illustrer au travers du schéma suivant :
![Accès aux fichiers en fonction des couches](overlayfs.png){height=6cm}
On voit un système de fichiers à deux couches, on parle de deux *branches* dans
le jargon. Elles sont notées *Lower* pour la couche la plus basse et *upper* la
couche qui s'insère par dessus la couche *lower* ; et enfin *Merged* le
résultat. Certaines implémentations supportent plus que 2 branches, avec des
politiques d'accès et de modifications parfois complexes.
Lorsque l'on supprime un fichier de l'union, un fichier dit *whiteout file* est
placé dans la couche en écriture pour indiquer que ce fichier ne doit plus être
affiché dans la couche *merged*. Le même concept existe pour les dossiers, mais
on parle alors d'*opaque directory*.
Lorsqu'il s'agit d'accéder à un fichier présent dans la branche *lower* et qui
n'a pas été modifié dans *upper*, on accède directement au fichier de *lower*.
Lorsqu'un fichier est modifié, on recopie son contenu intégralement dans la
branche *upper*, depuis la branche *lower*. Un fichier qui est ajouté, écrasé
ou modifié aura donc son contenu intégralement dans la couche *upper*.
::::: {.question}
#### Pourrait-on se contenter d'un *Copy-on-Write* au niveau des blocs ? {-}
\
C'est en effet une solution qui existe (les *snapshots* LVM par exemple, que
Docker peut utiliser au travers du *driver* `device-mapper`). Dans ce cas,
seuls les blocs modifiés seront réécrits, cela peut sembler être une
alternative performante. Il faut noter cependant qu'outre les blocs liés au
fichier modifié, il faut également mettre à jour les métadonnées (*inodes*,
...).
Dans les scénarios d'écriture intensive, il s'avère que ce type de système perd
beaucoup en performance face à une union de système de fichiers.
Il est généralement admis également que le *Copy-on-Write* tend à occuper
davantage de place au fil du temps et des modifications, que l'union.
:::::
## OverlayFS
OverlayFS est arrivé dans le noyau 3.18, après de plus de 4 années de réécritures
et d'amélioration structurelles, pour atteindre le niveau d'exigence et sans
compromis nécessaire à son intégration dans le noyau officiel.
::::: {.question}
#### Quelles problématiques rendent l'implémentation d'une union de systèmes de fichier compliquée ? {-}
\
L'un des problèmes les plus délicats est de trouver une manière de représenter
les suppressions de fichiers et de dossiers : cela doit être un fichier valide
(avec ou sans métadonnée) car il faut pouvoir stocker l'information
concrètement. Dans de nombreuses implémentations, un fichier `.wh.<filename>`
sert de *whiteout file*, ce qui peut créer des conflits avec des fichiers de
l'utilisateur (ou réduire ses choix de noms de fichiers).
Un problème similaire s'applique aux dossiers : est-ce qu'il faut supprimer
chaque fichier contenu dans le dossier ou la simple présence d'un *opaque
directory* empêche toute découverte ?
L'usage de la mémoire peut vite devenir incontrôlable, surtout si
l'implémentation autorise beaucoup de branches, car si on veut que le système
soit performant il faudra avoir en mémoire les topologies de chaque système de
fichiers.
L'implémentation de `mmap(2)` est nécessairement un cauchemar : lorsqu'un
fichier est modifié par deux processus qui le `mmap(2)`, on s'attend
normalement à voir les modifications dans les deux processus, or le premier à
faire une modification a créer un nouveau fichier dans la branche accessible en
écriture. Il est ardu de réconcilier les pointeurs deux des processus.
D'une manière similaire, il faut penser à la gestion des *hard links* : tous
les pointeurs d'un contenu mis à jour devrait être modifié dans la couche en
écriture, cependant il n'y a pas d'index des pointeurs, il n'est donc pas
facile de retrouver les fichiers à mettre à jour.
Ajoutons aussi que les systèmes de fichiers sous-jacents de chacune des
branches n'ont pas forcément les mêmes contraintes (tailles des noms de
fichiers, attributs étendus, métadonnées, encodage des accents, ...) et qu'il
faut réussir à jongler entre chaque, tout en retournant des erreurs cohérentes
le cas échéant.
Et bien d'autres encore. Notamment `readdir(2)` qui doit être stable malgré
les turbulences qui pourraient arriver entre deux appels, ...
Voir cette série d'articles résumant les différentes implémentations, leurs
choix et différences : <https://lwn.net/Articles/325369/>,
<https://lwn.net/Articles/327738/>.
:::::
Afin de satisfaire les contraintes d'intégration au noyau, le minimum de
fonctionnalités ont été retenues : on ne peut notamment avoir qu'une seule
couche en écriture, qui se positionne nécessairement au sommet, en
superposition des autres. C'est de là que vient le nom du système de fichiers,
puisqu'il s'agit davantage d'une superposition (*overlay*) d'un système de
fichiers sur un autre, plutôt qu'une union de plusieurs systèmes aux politiques
d'écritures potentiellement plus variées.
### Utilisation
L'usage d'OverlayFS est plus complexe que la plupart des autres systèmes de
fichiers. Il faut bien évidemment indiquer le/les systèmes de fichiers à
utiliser comme branches basses, ainsi que l'éventuelle couche en
lecture/écriture, mais il faut aussi disposer d'un dossier de travail, qui
permettra à l'implémentation de préparer certaines actions qui nécessitent
d'être atomiques.
On peut réaliser une opération atomique en déplaçant un fichier préalablement
créé et rempli (plutôt qu'en le créant et en l'écrivant en place). Afin de
pouvoir satisfaire à l'atomicité, le répertoire *upper* et le dossier de
travail doivent être obligatoirement sur le même système de fichiers. Dans le
cas contraire, un appel à `rename(2)` retournerait `EXDEV` et l'opération ne
pourrait alors pas être atomique.
Voici un exemple général de création d'une union simple entre un système de
fichiers en lecture seule et un en lecture/écriture :
<div lang="en-US">
```
mount -t overlay -olowerdir=/lower,upperdir=/upper,workdir=/work ignored /merged
```
</div>
Le type à utiliser est `overlay`, avec les options `lowerdir` qui indique
l'emplacement du/des dossiers à combiner en lecture seule (on les sépare par
des `:` lorsqu'il y en a plusieurs), on indique également le répertoire
contenant le système en lecture/écriture dans l'option `upperdir`, et on il
faut pas oublier l'option `workdir` un chemin sur la même partition que
l'`upperdir`, qui doit être vide.
On termine l'appel par donner le périphérique source, qui est inutile dans
notre cas (`ignored` ou tout autre chaîne fera l'affaire), et enfin le dossier
vers lequel sera monté notre union : `/merged` dans l'exemple.
\
Analysons un conteneur Docker en cours d'exécution pour en apprendre davantage.
D'abord, on vérifie que l'on utilise bien le *storage driver* `overlay2` :
<div lang="en-US">
```
42sh$ docker info | grep "Storage Driver"
Storage Driver: overlay2
```
</div>
C'est le cas (en fonction de la configuration de votre noyau, Docker aura
peut-être choisi un *driver* différent), commençons donc l'analyse :
<div lang="en-US">
```
42sh$ docker container run --rm -it debian
incntr$ mount | grep "on / "
overlay on / type overlay (rw,relatime,lowerdir=/var/lib/docker/overlay2/l/B62UNV3UB3X4TBWQMM6XCMM6W5:/var/lib/docker/overlay2/l/V6HGFN3C3PEW6CZ6XWRSHHDKJH,upperdir=/var/lib/docker/overlay2/2a353708e5b16ea7775cf1a33dd23ce31430faaa504bcde5508691b230f9d700/diff,workdir=/var/lib/docker/overlay2/2a353708e5b16ea7775cf1a33dd23ce31430faaa504bcde5508691b230f9d700/work)
```
</div>
On remarque que 2 `lowerdir` sont utilisés. Il s'agit de liens symboliques
pointant vers les dossiers identifiant les couches (les noms des liens sont
aléatoires, il s'agit en fait d'avoir un chemin raccourci par rapport au chemin
complet vers le système de fichiers de la couche, car le nombre de caractères
que l'on peut passer à l'appel système `mount(2)` est limité).
La branche la plus basse (le plus à droite du paramètre `lowerdir`) contient
l'unique couche de notre image `debian`, celle un peu plus à gauche superpose
un certain nombre de fichiers de configuration nécessaire à l'exécution du
conteneur (`/etc/hosts`, `resolv.conf`, ...).
La branche en lecture/écriture est également enregistrée dans le dossier
`/var/lib/docker/overlay2` et l'on peut voir son identifiant. L'`upperdir` se
trouve dans le dossier `diff`, tandis que le `workdir` est dans le dossier
`work`, sous le même identifiant de couche.
On peut également voir les dossiers utilisés en inspectant notre conteneur :
<div lang="en-US">
```
42sh$ docker container inspect youthful_wilbur | jq .[0].GraphDriver.Data
```
```json
{
"LowerDir": "/var/lib/docker/overlay2/22753d0d81...8706f1a31-init/diff:/var/lib/docker/overlay2/2cc3656c06...c0fb91d6/diff",
"MergedDir": "/var/lib/docker/overlay2/22753d0d81...8706f1a31/merged",
"UpperDir": "/var/lib/docker/overlay2/22753d0d81...8706f1a31/diff",
"WorkDir": "/var/lib/docker/overlay2/22753d0d81...8706f1a31/work"
}
```
</div>
Si on teste avec une image avec plus de couches, on obtient davantage de
`lowerdir`, un par couche. N'hésitez pas à faire la même série de commandes
avec l'image `python` par exemple.
### Ajout de fichiers
À ce stade, si nous regardons le contenu de notre dossier `upperdir`, nous
pouvons remarqué que celui-ci est vide. C'est normal puisque nous n'avons apporté
aucune modification.
Dans notre conteneur précédemment lancé, apportons une modification, en
ajoutant un fichier :
<div lang="en-US">
```
incntr$ echo "newfile" > /root/foobar
```
</div>
<div lang="en-US">
```
42sh$ tree /var/lib/docker/overlay2/2a353708e5...91b230f9d700/diff
/var/lib/docker/overlay2/2a353708e5...91b230f9d700/diff
└── root
└── foobar
```
</div>
Notre nouveau fichier, qui n'est pourtant pas le seul dans l'arborescence que
l'on voit dans le conteneur, a été ajouté comme on pouvait s'y attendre, dans
la branche en lecture/écriture.
### Modification de fichiers
Si nous apportons une modification à un fichier, par exemple en ajoutant une
ligne, ce n'est pas seulement la différence qui est stockée dans la branche en
écriture, mais bien tout le fichier, tel qu'il a été modifié :
<div lang="en-US">
```
incntr$ echo "Bienvenue dans le conteneur" >> /etc/issue
```
</div>
<div lang="en-US">
```
42sh$ tree /var/lib/docker/overlay2/2a353708e5...91b230f9d700/diff
/var/lib/docker/overlay2/2a353708e5...91b230f9d700/diff
└── etc
└── issue
```
</div>
<div lang="en-US">
```
42sh$ cat /var/lib/docker/overlay2/2a353708e5...91b230f9d700/diff/etc/issue
Debian GNU/Linux 11 \n \l
Bienvenue dans le conteneur
```
</div>
### Suppression de fichiers
Lorsque l'on souhaite supprimer un fichier que l'on vient d'ajouter, il n'y a
pas grand chose à faire puisque supprimer ce fichier de la branche en écriture
fera bien disparaître le fichier de l'arborescence montée.
Lorsqu'il s'agit de supprimer un fichier présent dans une branche en lecture
seule, il faut réussir à faire en sorte de masquer ce fichier au moyen d'un
marqueur. En fonction du *storage driver*, ce marqueur est différent : dans
`OverlayFS`, une suppression est matérialisée par un fichier spécial de type
caractère du même nom.
<div lang="en-US">
```
incntr$ rm /etc/adduser.conf
```
</div>
<div lang="en-US">
```
42sh$ tree /var/lib/docker/overlay2/2a353708e5...91b230f9d700/diff
/var/lib/docker/overlay2/1531651afa872006a4b2b9b913d5d8ee317cf12be7883517ba77f3d094f871b4/diff
└── etc
└── adduser.conf
```
</div>
<div lang="en-US">
```
42sh$ cat /var/lib/docker/overlay2/2a353708e5...91b230f9d700/diff/etc/adduser.conf
cat: No such device or address
42sh$ stat /var/lib/docker/overlay2/2a353708e5...91b230f9d700/diff/etc/adduser.conf
File: /var/lib/docker/overlay2/2a353708e5...91b230f9d700/diff/etc/adduser.conf
Size: 0 Blocks: 0 IO Block: 4096 character special file
Device: fe0bh/65035d Inode: 515773 Links: 2 Device type: 0,0
```
</div>
Notons ici `Device type: 0,0`.
Pour créer nous-mêmes un fichier similaire, il faudrait utiliser :
<div lang="en-US">
```
42sh$ mkdir /var/lib/docker/overlay2/2a353708e5...91b230f9d700/diff/bin
42sh$ mknod /var/lib/docker/overlay2/2a353708e5...91b230f9d700/diff/bin/sh c 0 0
```
</div>
::::: {.warning}
Faire cette commande `mknod` alors que l'union de système de fichiers est
montée par ailleurs ne va pas faire disparaître le fichier `/bin/sh` car les
modifications qui pourraient être apportées aux branches en dehors du système
monté conduisent à des résultats explicitement indéfinis.
:::::
### Suppressions pour `unionfs` et AuFS
Le concept de *whiteout file*, comme on a pu le voir, diffère en fonction du
système de fichiers. Il s'avère que même si l'OverlayFS a été intégré dans le
noyau Linux après maintes péripéties, Docker, lorsqu'à été spécifié le format
des archives utilisées pour distribuer les couches, utilise aujourd'hui le
format d'AuFS pour représenter les suppressions. Il est donc important de le
voir également.
Au lieu d'utiliser un fichier spécial, AuFS crée un fichier standard
`.wh.<filename>`, où `<filename>` est le nom du fichier à masquer.
Afin de s'adapter au *storage driver*, lors de la décompression de l'archive,
Docker s'emploie à convertir[^MOBYWHITEOUT] les *whiteout files* qu'il rencontre dans le
format attendu.
[^MOBYWHITEOUT]: Voir le code
<https://github.com/moby/moby/blob/master/pkg/archive/archive_linux.go#L27>