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Les namespaces
Introduction
Les espaces de noms du noyau, les namespaces, permettent de dupliquer certaines structures du noyau, dans le but de les isoler d'un groupe de processus à un autre.
On en dénombre 7 depuis Linux 4.6 : CGroup
, IPC
, network
, mount
, PID
,
user
et UTS
.
mount
namespaces
Depuis Linux 2.4.19.
Isole la liste des points de montage.
Chaque processus d'un namespace différent peut monter, démonter et
réorganiser à sa guise les points de montage. Une partition ne sera donc pas
nécessairement démonté après un appel à umount(2)
, elle le sera lorsqu'elle
aura effectivement été démontée de chaque namespace dans lequel elle était
montée.
UTS
namespaces
Depuis Linux 2.6.19.
Isole le nom de machine et son domaine NIS.
IPC
namespaces
Depuis Linux 2.6.19.
Isole les objets IPC et les files de messages POSIX.
Une fois le namespace attaché à un processus, il ne peut alors plus parler qu'avec les autres processus de son namespace.
PID
namespaces
Depuis Linux 2.6.24.
Isole la liste des processus et virtualise leurs numéros.
Une fois dans un espace, le processus ne voit que le sous-arbre de processus également attachés à son espace. Il s'agit d'un sous-ensemble de l'arbre global de PID : les processus de tous les PID namespaces apparaissent donc dans l'arbre initial.
Pour chaque nouvel espace de noms de processus, une nouvelle numérotation est
initié ; ainsi, le premier processus de cet espace porte le numéro 1 et aura
les mêmes propriétés que le processus init
usuel ; entre autres, si un
processus est rendu orphelin dans ce namespace, il devient un fils de ce
processus, et non un fils de l'init
de l'arbre global.
network
namespaces
Depuis Linux 2.6.29.
Fourni une isolation pour toutes les ressources associées aux réseaux : les interfaces, les piles protocolaires IPv4 et IPv6, les tables de routage, pare-feu, ports numérotés, etc.
Une interface réseau (eth0
, wlan0
, ...) ne peut se trouver que dans un seul
namespace à la fois, mais il est possible de les déplacer.
Lorsque le namespace est libéré (généralement lorsque le dernier processus attaché à cet espace de noms se termine), les interfaces qui le composent sont ramenées dans l'espace initial (et non pas dans l'espace parent, en cas d'imbrication).
user
namespaces
Depuis Linux 3.8.
Isole la liste des utilisateurs, des groupes, leurs identifiants, les capabilities, la racine et le trousseau de clefs du noyau.
La principale caractéristique est que les identifiants d'utilisateur et de groupe pour un processus peuvent être différent entre l'intérieur et l'extérieur du conteneur. Il est alors possible, alors que l'on est un simple utilisateur à l'extérieur du namespace, d'avoir l'UID 0 dans le conteneur.
CGroup
namespaces
Depuis Linux 4.6.
Isole la vue de la racine des Control Group en la plaçant sur un sous-groupe de l'arborescence.
Ainsi, un processus dans un CGroup
namespace ne peut pas voir le contenu
des sous-groupes parents (pouvant laisser fuiter des informations sur le reste
du système). Cela peut également permettre de faciliter la migration de
processus (d'un système à un autre) : l'arborescences des cgroups n'a alors
plus d'importance car le processus ne voit que son groupe.
S'isoler dans un nouveau namespace
Avec son coquillage
De la même manière que l'on peut utiliser l'appel système chroot(2)
depuis un
shell via la commande chroot(1)
, la commande unshare(1)
permet de faire le
nécessaire pour appeler l'appel système unshare(2)
, puis, tout comme
chroot(1)
, exécuter le programme passé en paramètre.
En fonction des options qui lui sont passées, unshare(1)
va créer le/les
nouveaux namespaces et placer le processus dedans.
Par exemple, nous pouvons modifier sans crainte le nom de notre machine, si
nous sommes passé dans un autre namespace UTS
:
42sh# hostname --fqdn
koala.zoo.paris
42sh# sudo unshare -u /bin/bash
bash# hostname --fqdn
koala.zoo.paris
bash# hostname lynx.zoo.paris
bash# hostname --fqdn
lynx.zoo.paris
bash# exit
42sh# hostname --fqdn
koala.zoo.paris
Nous avons pu ici modifier le nom de machine, sans que cela n'affecte notre machine hôte.
Essayons maintenant avec d'autres options de notre programme pour voir les
effets produits : par exemple, comparons un ip address
à l'extérieur et à
l'intérieur d'un unshare -n
.
Les appels systèmes
L'appel système par excellence pour contrôler l'isolation d'un nouveau
processus est clone(2)
.
L'isolement ou non du processus est faite en fonction des flags
qui sont
passés à la fonction :
CLONE_NEWNS
,CLONE_NEWUTS
,CLONE_NEWIPC
,CLONE_NEWPID
,CLONE_NEWNET
,CLONE_NEWUSER
,CLONE_NEWCGROUP
.
On peut bien entendu cumuler un ou plusieurs de ces flags
, et les combiner
avec d'autres flags
attendu par la fonction.
Les mêmes flags
sont utilisés lors des appels à unshare(2)
ou setns(2)
.
Pour créer un nouveau processus qui sera à la fois dans un nouvel namespace réseau et dans un nouveau namespace CGroup, on écrirait un code similaire à :
#include <sched.h>
#define STACKSIZE (1024*1024)
static char child_stack[STACKSIZE];
int clone_flags = CLONE_CGROUP | CLONE_NEWNET | SIGCHLD;
pid_t pid = clone(do_execvp,
child_stack + STACKSIZE,
clone_flags,
&args);
Le premier argument est un pointeur sur fonction. Il s'agit de la fonction qui sera appelée par le nouveau processus.
Comparaison de namespace
Les namespaces d'un programme sont exposés sous forme de liens symboliques
dans le répertoire /proc/<PID>/ns/
.
Deux programmes qui partagent un même namespace auront un lien vers la même structure de données.
Écrivons un script ou un programme, cmpns
, permettant de déterminer si deux
programmes s'exécutent dans les mêmes namespaces.
Exemples
42sh$ ./cmpns $(pgrep influxdb) $(pgrep init)
- cgroup: differ
- ipc: differ
- mnt: differ
- net: differ
- pid: differ
- user: same
- uts: same
42sh$ ./cmpns $(pgrep init) self
- cgroup: same
- ipc: same
- mnt: same
- net: same
- pid: same
- user: same
- uts: same
Ici, self
fait référence au processus actuellement exécuté.
Et pourquoi pas :
42sh$ unshare -m ./cmpns $$ self
- cgroup: same
- ipc: same
- mnt: differ
- net: same
- pid: same
- user: same
- uts: same
Rejoindre un namespace
Rejoindre un namespace se fait en utilisant l'appel système setns(2)
,
auquel on passe le file descriptor d'un des liens du dossier
/proc/<PID>/ns/
:
#define _GNU_SOURCE
#include <fcntl.h>
#include <sched.h>
#include <stdlib.h>
// ./a.out /proc/PID/ns/FILE cmd args...
int main(int argc, char *argv[])
{
int fd = open(argv[1], O_RDONLY);
if (fd == -1)
{
perror("open");
return EXIT_FAILURE;
}
if (setns(fd, 0) == -1)
{
perror("setns");
return EXIT_FAILURE;
}
execvp(argv[2], &argv[2]);
perror("execve");
return EXIT_FAILURE;
}
Dans un shell, on utilisera la commande nsenter(1)
:
42sh# nsenter --uts=/proc/42/ns/uts /bin/bash
docker exec
Si vous avez bien suivi jusque là, vous avez dû comprendre qu'un docker exec
,
n'était donc rien de plus qu'un nsenter(1)
.
Réécrivons, en quelques lignes, la commande docker exec
!
Pour savoir si vous avez réussi, comparez les sorties des commandes :
ip address
;hostname
;mount
;pa -aux
;- ...
Durée de vie d'un namespace
Le noyau tient à jour un compteur de référence pour chaque namespace. Dès qu'une référence tombe à 0, le namespace est automatiquement libéré, les points de montage sont démontés, les interfaces réseaux sont réattribués à l'espace de noms initial, ...
Ce compteur évolue selon plusieurs critères, et principalement selon le nombre de processus qui l'utilisent. C'est-à-dire que, la plupart du temps, le namespace est libéré lorsque le dernier processus s'exécutant dedans se termine.
Lorsque l'on a besoin de référencer un namespace (par exemple pour le faire
persister après le dernier processus), on peut utiliser un mount bind
:
42sh# touch /tmp/ns/myrefns
42sh# mount --bind /proc/<PID>/ns/mount /tmp/ns/myrefns
De cette manière, même si le lien initial n'existe plus (si le <PID>
s'est
terminé), /tmp/ns/myrefns
pointera toujours au bon endroit.
On peut très bien utiliser directement ce fichier pour obtenir un descripteur
de fichier valide vers le namespace (pour passer à setns(2)
).
Faire persister un namespace
Il n'est pas possible de faire persister un namespace d'un reboot à l'autre.
Même en étant attaché à un fichier du disque, il s'agit d'un pointeur vers une structure du noyau, qui ne persistera pas au redémarrage.
Aller plus loin
Je vous recommande la lecture des man suivants :
namespaces(7)
: introduisant et énumérant les namespaces ;
Pour tout connaître en détails, la série d'articles de Michael Kerrisk sur les namespaces est excellente ! Auquel il faut ajouter le petit dernier sur le CGroup namespace.
Cet article de Michael Crosby montrant l'utilisation de clone(2).