\newpage Les espaces de noms -- *namespaces* {#namespaces} =================================== ## Introduction Les espaces de noms du noyau, les *namespaces*, permettent de dupliquer certaines structures, habituellement considérées uniques pour le noyau, dans le but de les isoler d'un groupe de processus à un autre. On en dénombre sept (le dernier ayant été ajouté dans Linux 4.6) : `cgroup`, `IPC`, `network`, `mount`, `PID`, `user` et `UTS`. La notion d'espace de noms est relativement nouvelle et a été intégrée progressivement au sein du noyau Linux. Aussi, toutes les structures ne sont pas encore *containerisables* : [le document fondateur](https://www.kernel.org/doc/ols/2006/ols2006v1-pages-101-112.pdf) parle ainsi d'isoler les périphériques, ou encore l'horloge. Pour ce dernier, [un patch a même déjà été proposé](https://lwn.net/Articles/766089/). ### L'espace de noms `mount` {#mount-ns} Depuis Linux 2.4.19. Cet espace de noms isole la liste des points de montage. Chaque processus appartenant à un *namespace mount* différent peut monter, démonter et réorganiser à sa guise les points de montage, sans que cela n'ait d'impact sur les processus hors de cet espace de noms. Une partition ne sera donc pas nécessairement démontée après un appel à `umount(2)`, elle le sera lorsqu'elle aura effectivement été démontée de chaque *namespace mount* dans lequel elle était montée. Attention il convient cependant de prendre garde aux types de liaison existant entre vos points de montage (voir la partie sur [les particularités des points de montage](#mount)), car les montages et démontages pourraient alors être répercutés dans l'espace de noms parent. Une manière rapide pour s'assurer que nos modifications ne sortiront pas de notre *namespace* est d'appliquer le type esclave à l'ensemble de nos points de montage, récursivement, dès que l'on est entré dans notre nouvel espace de noms.
```bash mount --make-rslave / ```
### L'espace de noms `UTS` {#uts-ns} Depuis Linux 2.6.19. Cet espace de noms isole le nom de machine et son domaine NIS. ### L'espace de noms `IPC` {#ipc-ns} Depuis Linux 2.6.19. Cet espace de noms isole les objets IPC et les files de messages POSIX. Une fois le *namespace* attaché à un processus, il ne peut alors plus parler qu'avec les autres processus de son espace de noms (lorsque ceux-ci passent par l'API IPC du noyau). ### L'espace de noms `PID` Depuis Linux 2.6.24. Cet espace de noms isole la liste des processus et virtualise leurs numéros. Une fois dans un espace, le processus ne voit que le sous-arbre de processus également attachés à son espace. Il s'agit d'un sous-ensemble de l'arbre global de PID : les processus de tous les PID *namespaces* apparaissent donc dans l'arbre initial. Pour chaque nouvel espace de noms de processus, une nouvelle numérotation est initiée. Ainsi, le premier processus de cet espace porte le numéro 1 et aura les mêmes propriétés que le processus `init` usuel\ ; entre autre, si un processus est rendu orphelin dans ce *namespace*, il devient un fils de ce processus, et non un fils de l'`init` de l'arbre global. ### L'espace de nom `network` Depuis Linux 2.6.29. Cet espace de noms fournit une isolation pour toutes les ressources associées aux réseaux : les interfaces, les piles protocolaires IPv4 et IPv6, les tables de routage, règles pare-feu, ports numérotés, etc. Une interface réseau (`eth0`, `wlan0`, ...) ne peut se trouver que dans un seul espace de noms à la fois. Il est par contre possible de les déplacer. Lorsque le *namespace* est libéré (généralement lorsque le dernier processus attaché à cet espace de noms se termine), les interfaces qui le composent sont ramenées dans l'espace initial/racine (et non pas dans l'espace parent, en cas d'imbrication). ### L'espace de noms `user` Depuis Linux 3.8. Cet espace de noms isole la liste des utilisateurs, des groupes, leurs identifiants, les *capabilities*, la racine et le trousseau de clefs du noyau. La principale caractéristique est que les identifiants d'utilisateur et de groupe pour un processus peuvent être différents entre l'intérieur et l'extérieur de l'espace de noms. Il est donc possible, alors que l'on est un simple utilisateur à l'extérieur du *namespace*, d'avoir l'UID 0 dans le conteneur. ### L'espace de noms `cgroup` {#cgroup-ns} Depuis Linux 4.6. Cet espace de noms filtre l'arborescence des *Control Group* en changeant la racine de l'arborescence des cgroups. Au sein d'un *namespace*, la racine vue correspond en fait à un sous-groupe de l'arborescence globale. Ainsi, un processus dans un `CGroup` *namespace* ne peut pas voir le contenu des sous-groupes parents (pouvant laisser fuiter des informations sur le reste du système). Cela peut également permettre de faciliter la migration de processus (d'un système à un autre) : l'arborescence des cgroups n'a alors plus d'importance car le processus ne voit que son groupe. ## S'isoler dans un nouveau *namespace* ### Avec son coquillage De la même manière que l'on peut utiliser l'appel système `chroot(2)` depuis un shell via la commande `chroot(1)`, la commande `unshare(1)` permet de faire le nécessaire pour lancer l'appel système `unshare(2)`, puis, tout comme `chroot(1)`, exécuter le programme passé en paramètre. En fonction des options qui lui sont passées, `unshare(1)` va créer le/les nouveaux *namespaces* et placer le processus dedans. Par exemple, nous pouvons modifier sans crainte le nom de notre machine, si nous sommes passés dans un autre *namespace* `UTS` :
``` 42sh# hostname --fqdn koala.zoo.paris 42sh# sudo unshare -u /bin/bash bash# hostname --fqdn koala.zoo.paris bash# hostname lynx.zoo.paris bash# hostname --fqdn lynx.zoo.paris bash# exit 42sh# hostname --fqdn koala.zoo.paris ```
Nous avons pu ici modifier le nom de la machine, sans que cela n'affecte notre machine hôte. ### Les appels systèmes L'appel système par excellence pour contrôler l'isolation d'un nouveau processus est `clone(2)`. L'isolement ou non du processus est faite en fonction des `flags` qui sont passés à la fonction : * `CLONE_NEWNS`, * `CLONE_NEWUTS`, * `CLONE_NEWIPC`, * `CLONE_NEWPID`, * `CLONE_NEWNET`, * `CLONE_NEWUSER`, * `CLONE_NEWCGROUP`. On peut bien entendu cumuler un ou plusieurs de ces `flags`, et les combiner avec d'autres `flags` attendu par la fonction. Les mêmes `flags` sont utilisés lors des appels à `unshare(2)` ou `setns(2)`. Pour créer un nouveau processus qui sera à la fois dans un nouvel espace de noms réseau et dans un nouveau *namespace* `cgroup`, on écrirait un code similaire à :
```c #include #define STACKSIZE (1024 * 1024) static char child_stack[STACKSIZE]; int clone_flags = CLONE_CGROUP | CLONE_NEWNET | SIGCHLD; pid_t pid = clone(do_execvp, // First function executed by child child_stack + STACKSIZE, // Assume stack grows downward clone_flags, // clone specials flags args); // Arguments to pass to do_execvp ```
Dans cet exemple, le processus fils créé disposera d'un nouvel espace de noms pour les *CGroups* et disposera d'une nouvelle pile réseau. Un exemple complet d'utilisation de `clone(2)` et du *namespace* `UTS` est donné dans le `man` de l'appel système. ## Rejoindre un *namespace* Rejoindre un espace de noms se fait en utilisant l'appel système `setns(2)`, auquel on passe le *file descriptor* d'un des liens du dossier `/proc//ns/` :
```c #define _GNU_SOURCE #include #include #include // ./a.out /proc/PID/ns/FILE cmd args... int main(int argc, char *argv[]) { int fd = open(argv[1], O_RDONLY); if (fd == -1) { perror("open"); return EXIT_FAILURE; } if (setns(fd, 0) == -1) { perror("setns"); return EXIT_FAILURE; } execvp(argv[2], &argv[2]); perror("execve"); return EXIT_FAILURE; } ```
Dans un shell, on utilisera la commande `nsenter(1)` :
```bash 42sh# nsenter --uts=/proc/42/ns/uts /bin/bash ```
## Durée de vie d'un *namespace* {#ns-lifetime} Le noyau tient à jour un compteur de références pour chaque *namespace*. Dès qu'une référence tombe à 0, l'espace de noms est automatiquement libéré, les points de montage sont démontés, les interfaces réseaux sont réattribués à l'espace de noms initial, ... Ce compteur évolue selon plusieurs critères, et principalement selon le nombre de processus qui l'utilise. C'est-à-dire que, la plupart du temps, le *namespace* est libéré lorsque le dernier processus s'exécutant dedans se termine. Lorsque l'on a besoin de référencer un *namespace* (par exemple pour le faire persister après le dernier processus), on peut utiliser un `mount bind` :
```bash 42sh# touch /tmp/ns/myrefns 42sh# mount --bind /proc//ns/mount /tmp/ns/myrefns ```
De cette manière, même si le lien initial n'existe plus (si le `` s'est terminé), `/tmp/ns/myrefns` pointera toujours au bon endroit. On peut très bien utiliser directement ce fichier pour obtenir un descripteur de fichier valide vers le *namespace* (pour passer à `setns(2)`). ### Faire persister un *namespace* Il n'est pas possible de faire persister un espace de noms d'un reboot à l'autre. Même en étant attaché à un fichier du disque, il s'agit d'un pointeur vers une structure du noyau, qui ne persistera pas au redémarrage. ## Aller plus loin {-} Je vous recommande la lecture des *man* suivants : * `namespaces(7)` : introduisant et énumérant les *namespaces* ; Pour tout connaître en détails, [la série d'articles de Michael Kerrisk sur les *namespaces*](https://lwn.net/Articles/531114/) est excellente ! Auquel il faut ajouter [le petit dernier sur le `cgroup` *namespace*](https://lwn.net/Articles/621006/). [Cet article de Michael Crosby montrant l'utilisation de clone(2)](https://web.archive.org/web/20190206073558/http://crosbymichael.com/creating-containers-part-1.html) est également des plus intéressants, pour ce qui concerne la programmation plus bas-niveau.